Quelques années avant sa disparition en 1944 au camp de Drancy, Max Jacob avait retrouvé une veine créatrice alors même que sa production artistique connaissait une éclipse depuis le début des années 30. Au cours de cette décennie, l’artiste avait usé et abusé de procédés créatifs dont certains s’apparentaient à une sorte d’accumulation répétitive et souvent gauche de sujets inspirés de cartes postales : vues du Sacré-Cœur, de Notre-Dame-de-Paris, de l’Opéra, scénettes bretonnes... L’artiste n’hésitait pas à qualifier alors ses œuvres de « gouaches financières ». Les années de crise cumulées à une certaine désinvolture de Max Jacob finirent par lui aliéner les galeries fidèles et les amateurs particuliers.
Las de ses échecs parisiens, il retourne en 1936 à Saint-Benoit-sur-Loire dans l’espoir de recouvrer tranquillité et sérénité. Il continue d’accueillir de jeunes artistes et, l’un d’entre eux, Roger Toulouse va lui offrir, par son enthousiasme et sa curiosité, l’occasion de reprendre couleurs et pinceaux et de créer au début des années 1940 des œuvres d’une belle facture néo-cubiste.
Cette gouache, datant de 1939, appartient à cette thématique des crucifixions que l’artiste a commencé de développer après sa conversion et son baptême dans la foi catholique en 1915. Le musée conserve déjà plusieurs œuvres rattachées aux épisodes de l’histoire sainte dont un dessin combinant curieusement le thème de la crucifixion avec la présence des Saintes Femmes accueillies par deux anges devant le sépulcre vide, sans oublier le centurion Longin.
Pour cette gouache, Max Jacob s’abstient de toute fantaisie iconographique et privilégie une approche plus classique en associant Crucifixion et Pamoison de la Vierge. En évitant l’accumulation, il densifie son sujet et concentre ses moyens sur l’essentiel. Le groupe de la Vierge soutenue par saint Jean et Marie-Madeleine se distingue de l’ensemble de la composition par le choix raffiné des couleurs. A l’opposé, le groupe des disciples résignés de la procession, qui s’étire à l’arrière-plan, reçoit un traitement quasi monochrome qui s’accorde avec l’ambiance recueillie du sujet. Démesurément élevées, les croix dominent un ciel laiteux zébré par les épaisseurs de gouache posées avec vivacité par l’artiste. L’expressionnisme des corps, en particulier du larron de droite, renvoie à la vaste culture visuelle de Max Jacob. On se souvient de l’anecdote rapportée à la première rencontre avec Picasso en juin 1901 qui voit Max Jacob offrir à ce dernier une gravure d’Albrecht Dürer. Sans doute le style âpre et violent de certains graveurs de la Renaissance allemande a pu servir de modèle (comme dans les compositions de Lucas Cranach l’Ancien). De façon plus générale, ces torsions de corps élancés et musculeux renvoient aux canons de l’art maniériste et peut-être à l’admiration revendiquée pour les compositions du Greco. Lors de son voyage en 1926 en Espagne, Max Jacob avait ressenti un choc profond en découvrant Tolède et les nombreuses œuvres du Greco conservées in situ.
Particulièrement réussie, cette grande feuille permet de mieux appréhender les dernières années de création du « peintre-poète » qui , hors l’usage récurrent de la gouache, livre ici un des meilleurs témoignages de son art parfois inégal.
Après avoir été exposée dans la section consacrée au poète Max Jacob dans l'exposition temporaire "Fragments surréalistes, René Iché (1897-1954) et les poètes" du 23 novembre 2023 au 19 février 2024, l'oeuvre a rejoint les réserves.