Le nom de Jean Lurçat est associé au renouveau de l’art de la tapisserie qui a connu une véritable renaissance dans la seconde moitié du XXe siècle.
Sans doute moins connu mais tout aussi passionnant, son travail de peintre offre de multiples résonances avec les courants de l’art moderne qui irriguent la période de l’entre-deux-guerres en France.
Originaire des Vosges, Jean Lurçat débute par une formation, entre 1910 et 1912, à l’atelier de Victor Prouvé, alors directeur de l’école des Beaux-Arts de Nancy. Installé ensuite à Paris courant 1912, il poursuit son apprentissage au sein de l’atelier Colarossi en s’exerçant à la maîtrise de différentes techniques, depuis la gravure en passant par la peinture mais aussi la pratique de la fresque. Ses premières œuvres peintes n’offrent rien de particulièrement remarquable si ce n’est, pour certaines d’entre elles, la recherche d’ambiances propices à susciter la rêverie. Il noue des liens avec le monde littéraire (Charles Vildrac, Rainer Maria Rilke, Hermann Hesse) ou musical (Ferruccio Busoni) et entame dès 1913 une amitié durable avec la future grande galeriste Jeanne Bucher.
Au début des années 1920, ses peintures affichent deux types d’influences étonnamment divergentes. Selon les sujets abordés, Jean Lurçat retient pour la peinture de figures une approche expressionniste, reflet de sa découverte des créations du Blaue Reiter (plusieurs voyages à Berlin ou Munich favorisent ces rencontres picturales) ou alors pour les natures mortes une définition des plans qui suggère une proximité de plus en plus forte avec le cubisme. En 1921, André Lurçat, qui suit depuis plusieurs années l’évolution des principaux acteurs du cubisme, rencontre Louis Marcoussis mais aussi Max Jacob ! Il entreprend plusieurs voyages autour de la Méditerranée, en Espagne, en Afrique du Nord, en Grèce ou en Turquie. Ces différents périples nourrissent son imaginaire pictural et coïncident avec l’apparition d’une nouvelle formulation plastique à la figuration très simplifiée - avec une part revendiquée de feinte maladresse- et, surtout, l'application d'une gamme chromatique d'une rare séduction. Jean Lurçat peint à partir de 1925 de nombreux paysages, toujours étranges et imprégnés du souvenir de ses périples. Loin de refléter une sorte d’âge d’or méditerranéen, ses créations sont, au contraire, marquées par une forme de désolation où la présence humaine s’évanouit devant l’âpre contour de constructions parfois ruinées. Le silence habite nombre de ses compositions qui semblent figées devant l’annonce de périls imminents.
Dans le cas des deux œuvres qu'accueille le musée, la notion de paysage se confond avec celle de la nature morte. Ces sujets maritimes voisinent avec une autre thématique qui obsède Jean Lurçat, la bataille de Trafalgar : surprenante obsession mais qui lui offre, en 1930 et 1931, l’idée de multiplier les compositions décrivant mâts et coques de navires. Ici, les titres parfaitement neutres nous éloignent de l’anecdote militaire de Trafalgar pour laisser libre cours à la perception visuelle immédiate. Très proches, sont-ce des pendants (en tout cas, elles proviennent de la même collection, celle d’une personnalité remarquable, Marie Cuttoli), ces deux œuvres abordent le motif de l’épave abandonnée sur une plage qui, cependant, omet la présence de la mer. Affectant la forme d’un squelette, une carcasse décharnée, une arête de poisson (?), ou lorsque les voiles flottent encore, transformée en victime transpercée par les mâts, image métaphorique de l’agonie (?), ces épaves échouées se prêtent au jeu des spéculations intellectuelles mais avec cette note pessimiste qui habite beaucoup d’œuvres de Jean Lurçat. La présence étonnante d’une forme mi-animale, mi-humaine (un baigneur ?) sur la gauche, augmente cette sensation d’étrangeté en laissant planer un malaise indéfinissable. Sommes-nous les témoins de la ruine qui menace toutes les entreprises humaines ? On rappellera le contexte de l’époque et ces années de dépression qui suivent en France la crise de 1929.
Le choix d’un nombre limité de pigments permet à l’artiste de concentrer tout son art sur la modulation des tons, en particulier pour les jaune-sable ou les bleus outremer. Cette association réduite de teintes trouve des correspondances (effet du hasard ?) avec les œuvres de plages que Picasso peint en 1929 à Dinard ou un peu plus tard à Juan-Les-Pins.
Jean Lurçat n’a jamais revendiqué d’appartenance au mouvement surréaliste. Il n’empêche que beaucoup de ses œuvres peintes et, notamment celles-ci, se prêtent aux exercices de l’imaginaire et invitent au développement de l’exégèse.
En rejoignant les collections de Quimper, ces deux tableaux permettent de nourrir les espaces consacrés à l’art de l’entre-deux-guerres, espaces qui ont bénéficié récemment de plusieurs acquisitions importantes (Pierre Roy, Jacques Hérold et bien sûr Yves Tanguy). Une œuvre précoce de Jean Le Moal, Menhirs, datée de 1935, résonnent à l’évidence avec les compositions de Jean Lurçat par l’esprit et la gamme chromatique.
Oeuvres en salle 20e, au rez-de-chaussée, salle 3