Pour favoriser l’impression d’immersion, les spectateurs se tenaient debout, au centre de la salle, sur une plateforme qui simulait les aspérités du terrain.
L’ensemble avait été peint, pour moitié, par Jean-Baptiste-Édouard Detaille et, pour l’autre moitié, par Alphonse de Neuville, tous deux peintres militaires qui - ayant eux-mêmes combattu - pouvaient transcrire la réalité des scènes de batailles. Il ne s’agissait plus alors de peindre une guerre héroïque « idéalisée » - qui avait été l’apanage des générations précédentes à des fins de glorification des souverains et des généraux - mais de présenter la guerre dans toute sa vérité aussi sombre soit-elle.
Ainsi Detaille, l’auteur de ce fragment, engagé dans le 8ème bataillon d’infanterie mobile, avait lui-même participé à la bataille de Champigny-sur-Marne illustrée ici. Ce combat sanglant, qui fit plus de 12 000 victimes, se déroula entre le 30 novembre et le 2 décembre 1870, durant la Guerre de 1870, qui opposa la France à la Prusse. Ce tragique épisode militaire avait suffisamment marqué les esprits pour qu’il fut choisi pour thème de ce panorama.
Les panoramas, inventés à la fin du xviiie siècle, connurent un succès fulgurant et essaimèrent dans l’Europe entière au cours du siècle suivant. À l’aide de sons, de jeux de lumière et parfois de certains dispositifs installés sur la plateforme (sable, mobilier, etc.), l’illusion était presque parfaite. Au cours du XIXe siècle, de multiples panoramas parisiens consacrés aux batailles napoléoniennes, à la prise de la Bastille ou à la Commune de Paris attirèrent les foules. Mais au tournant du XXe siècle, ils subirent de plein fouet la concurrence du cinématographe inventé en 1895.
Pour accompagner la visite du Panorama national, un guide avait été imprimé. Il détaillait le déroulé du conflit, la topographie des lieux et décrivait minutieusement chaque partie de la peinture.
En 1887 ce panorama fut démonté et envoyé à Vienne où il demeura visible jusqu’en 1891. La toile fut alors découpée en 65 fragments qui furent dispersés lors de deux ventes aux enchères en 1892 et 1896. Notre fragment a été acquis par l'État le 13 mai 1892, lors de la vente qui s’est tenue Galerie Georges Petit, 8 rue de Sèze à Paris. Il fut déposé à Quimper trois ans plus tard. De nombreux musées en France conservent d’autres fragments (Musée de l’Armée à Paris, Nantes, Grenoble, etc.).
Bien qu’il n’y ait aucun lien attesté, la représentation de ces soldats évoque immanquablement le célèbre poème d’Arthur Rimbaud, Le Dormeur du Val dont le manuscrit date d’octobre 1870. Le jeune Rimbaud, alors âgé de 16 ans, vit à Charleville, à moins de 20 kilomètres de Sedan où la France vient de subir une cuisante défaite le 2 septembre 1870.
LE DORMEUR DU VAL
C’est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud
7 octobre 1870
Nef, hall du musée, jusque mi-juin