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Max Jacob (1876-1944) - "Portrait de Madame Persillard", vers 1939-1940 - Gouache sur papier, 26 x 19,5 cm - Musée des beaux-arts de Quimper © Musée des beaux-arts de Quimper / ADAGP, Paris 2021

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Legs "Max Jacob, l’océan et la nuit"

En quittant ce monde pour un autre ailleurs, la femme de lettres et poétesse Lina Lachgar a souhaité que les œuvres de Max Jacob (et quelques autres qui lui étaient liées), rejoignent le fonds Max Jacob du musée des Beaux-Arts de Quimper. « Gentil Quimper, le nid de mon enfance… ». Cette vitrine a été imaginée en remerciement de ce don qui enrichit de manière magistrale les collections du musée.

 

 

LEGS LINA LACHGAR, 2021 - 1er étage / vitrine des arts graphiques - salle 20

Accrochage en écho aux collections Max Jacob qui seront présentées à la rentrée au rez-de-chaussée dans un espace renouvelé sur le XXe siècle et au fonds Jean Moulin dont une partie est exposée dans le cabinet d'arts graphiques au 1er étage, salle 16.

Max Jacob, l’océan et la nuit
En hommage à Lina Lachgar, qui « rêvait toujours du poète »


« - Est-ce vrai, monsieur Jacob, dit Mme Persillard, que l’ange qui domine le toit de l’Opéra de Paris a laissé tomber un jour la couronne de lauriers qu’il tenait à la main ?
- Je ne puis vous répondre, madame, car j’ai toujours été incapable de reconnaître l’océan et la nuit ».

Lina Lachgar, Max Jacob et Mademoiselle Infrarouge, Paris, Éditions de La Différence, 2012


Le 24 août 2020, Lina Lachgar secoua ses plumes, déploya ses ailes et prit son envol. Elle n’abandonna ni Marcel (Proust), ni Max (Jacob) - bien au contraire - nul besoin cette fois de laisser un poème d’excuse dans chacune de leurs vitrines respectives. Comme elle le fit sa vie durant lorsqu’elle publiait sur l’un, et non sur l’autre... Elle s’envola donc vers le grand tout, vers le grand vide, traversa la nuit, à moins qu’elle ne les ait rejoints sur l’océan ?
Sur les murs de son appartement demeuraient accrochés, suspendus ou - peut-être - pendus en suspens, quelques œuvres de Max. Max peintre, Max dessinateur, Max « loin d’être tout d’une pièce » avait plusieurs vérités. En parlant de son œuvre peint, il savait modérer l’exaltation de ses admirateurs et louangeurs zélés : il n’avait fait selon lui que « barboter dans la boue des gouaches ». Boues colorées, couleurs de boues, bouées multicolores éclatées sur le papier, éclatantes. « La matière en peinture n’a pas grande importance. Du papier, de l’encre, de la gouache, du pastel. Et voilà » concluait Max. Mais « n’oubliez pas que le mot a [aussi] une couleur ».

Lina vivait avec s(c)es œuvres, Lina rêvait, immobile face à elles, elle y plongeait son regard, voyageait au-dedans avec délectation. Il y avait aussi deux portraits de Max, de profil, par Jean Oberlé et Jean Cortot. Un trait qui ceint, sans être saint (avis de Max à ses admirateurs : « Je ne suis pas un saint » !), couronne, sans auréole, et pourtant n’avait-il pas écrit qu’« une auréole [lui] irait à merveille. Une auréole en persil bouclé ? en fenouil ? ». Et de rappeler que Picasso avait « ceint son front de lauriers dans un portrait. Parfaitement ! ». Mais dans ces profils qu’une simple ligne trace, point de postiche ! Une calvitie avec un crâne d’œuf devant lequel Max se serait écrié : « Je suis si chauve ! oh ! si chauve ! j’aurais besoin d’un cache-folies. »

Pour les sujets : un âne, aux facettes multiples, qui eût pu être celui de La Fuite en Égypte. Qui le saura ? N’est-ce pas l’Ange du Seigneur qui, d’un trait, le survole ? Sur une autre feuille un chapelet, celui des Prophètes d’Israël, oracles d’une fin que l’on devine prochaine, le dessin est daté de 1942… Avez-vous vu aussi Madame me doit une chemise ? N’est-elle pas étrange l’hybridité de cette femme bernard-l’hermite qui semble ramper tel un escargot à queue de poisson ? Puis il y a des oies qui, en reprenant Le Cornet à dés, auraient pu être les poulets du passe-boule, ce passe-boule qui devint le portrait de la concierge. « Déjà, à l'âge de trois ans, l'auteur de ces lignes [Max Jacob] était remarquable : il avait fait le portrait de sa concierge en passe-boule, couleur terre-cuite, au moment où celle-ci, les yeux pleins de larmes, plumait un poulet. Le poulet projetait un cou platonique. Or, ce n'était ce passe-boule, qu'un passe-temps. En somme, il est remarquable qu'il n'eut pas été remarqué : remarquable, mais non regrettable, car s'il avait été remarqué, il ne serait pas devenu remarquable ; il aurait été arrêté dans sa carrière, ce qui eût été regrettable. Il est remarquable qu'il eût été regretté et regrettable qu'il eût été remarqué. Le poulet du passe-boule était une oie. »

Enfin il y a cette gouache qui présente Léontine Persillard, la dernière logeuse de Max à Saint-Benoît-sur Loire, place du Martroi. Profil aiguisé comme une lame, fuseau de veuve velue, patte griffue, œil de Méduse. Et pour le caractère : « Mme Persillard est tout à fait hystérique ». « Sa bouche était expressive et sans expression », et pourtant, dans le portrait que Max fit d’elle, point d’orifice buccal, un simple museau acéré. Lina l’avait rêvée « sans éclat » avec « trop de poudre de riz » et des « cheveux d’un violet couleur de bruyère ». Selon elle, « elle ressemblait à la fois à une impératrice de jeu de tarot et à Caryathis dans La Belle Excentrique, par son côté "Cancan grand mondain" ». Quant à Max, il la jugeait « extraordinaire », à moins que ce ne soit Lina qui, métamorphosée en Mademoiselle Infrarouge, la rencontra dans une « divagation » poétique en 2012.

Texte de Florence Rionnet, directrice-adjointe du musée