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Yan’ Dargent (1824-1899) « Saints Évêques et confesseurs », 1885-1886 ? - Mine graphite et aquarelle, 23,5 x 16 cm - Musée des beaux-arts de Quimper © Bernard Galéron

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Don de 2 dessins de Yan' Dargent

Ces dessins aquarellés sont des études préparatoires pour deux planches illustrant "La Vie des Saints" de Mgr Paul Guérin dont la version illustrée parut en 1887. Ils témoignent de la virtuosité de Yan’ Dargent dans le domaine du dessin tout en évoquant les passerelles qu’il sut créer entre ce domaine et celui de la décoration monumentale.


La Vie des Saints, victime de son succès, fut rééditée à d’innombrables reprises à partir de 1858, date de sa première parution. Il fallut attendre 1887 pour qu’une première édition illustrée voit le jour. Cet imposant volume parut aux éditions Victor Palmé à Paris. Il comprenait 831 pages, 12 lithographies d’après des aquarelles de Yan’ Dargent. Une seconde édition illustrée fut orchestrée par les éditions Sanard & Derangeon en 1894. Sous la direction artistique d’Eugène Mathieu, quinze lithographes renommés furent chargés de graver les délicates aquarelles de Yan’ Dargent.

Autodidacte, Yan’ Dargent avait entamé une carrière artistique en 1850, date à laquelle il quittait son emploi d’inspecteur des travaux à la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest, pour se consacrer à l’illustration dont il fut, avec Gustave Doré, l’un des plus importants représentants de son époque. Son œuvre d’illustrateur se partagea ensuite entre des projets pour des revues populaires telles Le Magasin pittoresqueLe Musée des Familles ou La France illustrée (entre autres) et l’illustration de deux cents livres environ – dont une quarantaine à lui seul - parmi lesquels se trouvent un certain nombre de recueils de contes populaires (comme ceux des frères Grimm ou d’Andersen), des ouvrages de vulgarisation scientifique, des livres d’histoire ou pour la jeunesse, des publications à caractère religieux. Cette activité quotidienne d’illustrateur offrit à Yan’ Dargent une certaine autonomie financière qui lui permit durant quatre décennies de s’adonner plus librement à la peinture (il exposa ses toiles régulièrement au Salon des Artistes français dès 1851) et à la décoration d’édifices religieux comme la cathédrale Saint-Corentin de Quimper (décor des huit chapelles latérales du chœur, 1871-1878) ou l’église Saint-Houardon de Landerneau (à partir de 1890, décor non achevé). Ces trois facettes de son œuvre sont complémentaires et permettent d’esquisser les contours d’une production très marquée par l’empreinte de sa région natale - la Bretagne – par ses légendes et ses traditions.

C’est en 1879 que Yan’ Dargent amorça le travail d’illustration de La Vie des Saints de Mgr Paul Guérin., l’année même qui suivit l’achèvement de l’ambitieux décor de la cathédrale quimpéroise. Il acheva ce projet au début des années 1890 avant de recevoir la commande du décor de l’église Saint-Houardon de Landerneau qui en marque le prolongement à l’échelle monumentale.
En effet, le cortège des saints et des saintes de Landerneau, composé de onze toiles peintes monumentales, est une reprise complétée et plus aboutie du travail d’illustration de La Vie des Saints. La composition, elle-même, reprend l’idée d’une procession de saints et de saintes auréolés, richement parés, aux poses variées, se détachant sur un fond or, orné de motifs répétitifs, qui rappellent les mosaïques de la basilique Sant’Apollinare Nuovo de Ravenne. Ce décor byzantin avait été une source féconde d’inspiration pour le peintre Hippolyte Flandrin dont l’influence irrigue toute la production religieuse de Yan' Dargent. L’idée de cortège de saints se retrouve en particulier dans le décor de l’église Saint-Vincent-de-Paul que Flandrin exécuta entre 1848 et 1853 et que Yan' Dargent ne pouvait ignorer puisque sa réalisation coïncida avec l’installation du peintre breton à Paris en 1850. En outre, ces « Panathénées chrétiennes », telles que les qualifia Théophile Gautier, furent considérées à l’époque comme une des plus grandes réussites de l’art sacré, de celles qui marquèrent son renouveau.

Les deux aquarelles s’inscrivent donc dans cette filiation et doivent être considérées comme le premier maillon du travail monumental qu’exécutera Yan’ Dargent quelques mois plus tard. Elles permettent aussi de montrer les passerelles entre l’illustration et le décor qui constituent deux facettes essentielles de l’œuvre de Yan’ Dargent en même temps qu’elles témoignent de son immense talent de dessinateur.
Les deux feuilles reprennent la même composition : les saints et saintes du premier plan sont présentés en pied, parés de draperies à l’antique et de vêtements liturgiques aux étoffes précieuses. Les poses et les expressions qui animent leurs visages expriment l’intense ferveur de la foi chrétienne dont ils sont habités. Ils évoluent sur une margelle de pierre laissée en réserves et qui accueille leurs attributs. La partie supérieure a été recouverte d’un lavis de couleur noire auquel se substitueront dans l’illustration les motifs répétitifs composés d’une croix inscrite dans un quadrilobe et un cercle. Les deux processions sont surmontées d’un putti, l’un portant un encensoir dont les volutes de fumée symbolisent la prière fidèle, le second une couronne-mitre qui franchit le cadre pour signifier la foi éternelle.

La première aquarelle présente les saintes pénitentes s’avançant vers le Christ, conduites par Marie-Madeleine reconnaissable à son attribut : le vase à nard. Suivent Marie l’Égyptienne à genoux, Thaïs, sainte Pélagie et Marguerite de Cortone. Aux pieds des saintes Pélagie et Thaïs, Yan’ Dargent a présenté un masque et un coffret à bijoux, évocations de leur passé de courtisane et de comédienne.
La seconde aquarelle figure un cortège de saints évêques et de confesseurs. Crosses en mains, ils s’alignent les uns derrière les autres, de profil, le regard porté vers le Christ en majesté. De gauche à droite, il est possible d’identifier saint Nicolas, saint Patrick, saint Martin, saint Rémi (brandissant le Saint-Esprit), saint Norbert, saint François-Xavier (portant un crucifix), saint Eloi (patron des orfèvres et des forgerons tel que le rappelle son attribut le marteau) - et enfin saint Charles Borromée.

Le décor de Landerneau, s’il ne reprend pas textuellement la composition des deux aquarelles et des planches qui en résultent, reprend quelques figures comme Élisabeth de Hongrie. Des parallèles existent entre certains personnages du décor de Saint-Vincent-de-Paul par Hippolyte Flandrin et les ceux de Yan’ Dargent : c’est le cas notamment de sainte Pélagie que l’on retrouve dans une pose quasi similaire. En outre, de même que Flandrin incluait des portraits de ses proches dans ses décors, Yan’ Dargent procéda de manière identique. Il utilisa la photographie comme l’atteste la correspondance qui évoque son usage pour la représentation d’un saint sous les traits de l’abbé Fleury, curé de Saint-Houardon. Le fait que l’on ne retrouve pas d’équivalent au cortège de saints évêques s’explique sans doute par la mort de Yan’ Dargent qui, en 1899, laissa l’ensemble à l’état d’inachèvement.

Ces délicates aquarelles témoignent indubitablement des liens étroits qui unirent les différentes pratiques de Yan’ Dargent. À l’instar de la plaque émaillée de La Légende de saint Kadock déjà conservée au musée - qui reprend en l’inversant le grand tableau de l’église Saint-Houardon de Landerneau - elle permet de découvrir une nouvelle facette du talent de l’artiste léonard. Ce dernier est déjà bien présent dans les collections, à travers quelques toiles, des dessins au graphite et au fusain qui illustrent essentiellement le légendaire breton. D’un point de vue iconographique, ces aquarelles apportent donc un nouvel éclairage sur sa production, cette fois religieuse, en l’inscrivant dans ce renouveau de la peinture sacrée dont il fut un des acteurs notoires. Elles rappellent également son œuvre d’illustrateur et le rôle qu’il joua en ce domaine à une période où de nombreux peintres se firent aussi illustrateurs. La présence dans les collections du musée de deux études préparatoires de Jean-Paul Laurens pour l’illustration des Récits des temps mérovingiens d'Augustin Thierry (Paris, Hachette, 1881-1887) nourrit déjà ce propos.

Enfin, ces aquarelles révèlent par leurs dédicaces le lien d’amitié fraternelle qui pouvait exister entre les familles Nettement et Dargent. La dédicataire, Marie Nettement, est en effet selon toute vraisemblance la fille de l’homme politique légitimiste, critique et journaliste Alfred Nettement (1805-1869). Outre le fait que ce dernier ait écrit sur les œuvres de Yan' Dargent (notamment dans ses critiques du Salon de 1861), il fut une personnalité notable du militantisme catholique auquel Yan' Dargent apporta son adhésion. Fondateur de La Semaine des Familles en 1858, il en assuma la direction jusqu’à son décès en 1869. Or, c’est précisément dans ce journal que furent publiées dans les années 1880 des nouvelles, en épisodes, de Marie Nettement. Un ouvrage fait le lien entre les trois personnalités : Fabiola ou L'église des catacombes du Cardinal Nicholas Wiseman (1802-1865). L’ouvrage, publié en 1864 aux éditions Garnier Frères, fut en effet préfacé par Alfred Nettement, traduit par Marie Nettement et illustré par Yan’ Dargent. Il faut aussi noter que l’aquarelle des saintes pénitentes est dédicacée à Marie Nettement en « souvenir de sa grande amie Eugénie ». Cette dernière n’est autre que la seconde femme de Yan' Dargent, épousée en 1867 : Eugénie Antoinette Stéphanie Mathieu. Celle-ci était la fille du peintre Eugène Mathieu qui fut aussi directeur de La France illustrée à laquelle Yan’ Dargent contribua en qualité d’illustrateur. Cette musicienne accomplie, auteur-compositrice de romances, mourut en 1885 et l’on peut donc logiquement imaginer que le travail d’illustration de La Vie des saints se déroula pour Yan’ Dargent dans une période de deuil ce qui explique la mention du « souvenir » de la dédicace.
Ces deux aquarelles, par leur très belle qualité et l’histoire dont elles sont porteuses, ont donc toute leur place au sein des collections de notre musée.