On retrouve aussi cette composition sous forme d’aquarelle parmi les 59 illustrations du célèbre manuscrit de Gauguin, NOANOA / Voyage de / Tahiti, que George Daniel de Monfreid posséda puis offrit en 1927 au Musée du Louvre.
Mais la singularité de cette composition réside également dans le fait que Monfreid la reproduisit à l’envi dans cinq de ses compositions, dans son autoportrait de 1925 (Perpignan, Musée Hyacinthe-Rigaud), dans deux portraits qu’il fit de fervents admirateurs de Paul Gauguin : le Portrait de Gustave Fayet (1905, collection particulière) et celui de Victor Segalen (1909, collection particulière), ainsi qu'à l’arrière-plan de l’Intérieur d'atelier à la chatte siamoise (1909, Musée d'Orsay en dépôt à Perpignan, musée Hyacinthe-Rigaud) et dans Le Thé dans l’atelier (1907, Musée d'Orsay).
Cette passion de Monfreid pour cette toile ne se limite pas au registre décoratif puisqu’elle va même le conduire à créer cette copie fidèle qu’il va dédicacer à un autre créateur raffiné : Henry Cros (1840-1907). Il en réalisera également un dessin à la plume en 1917 ainsi qu’une gravure. A travers ces liens d’artistes, se perçoivent l’importance et l’influence centrale qu’occupent les créations de Gauguin en cette fin du XIXe siècle au point d’en favoriser la diffusion et le souvenir par le truchement de la copie.
Et, en effet, comment ne pas se laisser entraîner par l’artifice étrange de cette composition qui adopte un point de vue plongeant sur une barque ventrue ballotée par les remous ? L’espace resserré sur l’embarcation et ses fantomatiques passagers accentuent l’agitation des vagues qui s’épanouit en une formidable guirlande d’écume sur la gauche. L’irisation des flots qui scintillent de reflets outremer et turquoise connaît son apothéose avec ce jaillissement d’écume qui apporte un contrepoint clair dans les nuances sombres de l’ensemble. Cette œuvre profondément décorative conjugue tout à la fois l’héritage des estampes de l’Ukiyo-E et les caractéristiques stylistiques majeures du synthétisme.
La donation de cette toile revêt donc une importance particulière car, d’une part, elle complète le fonds consacré à l’École de Pont-Aven qui plus est par l’évocation d’une œuvre magistrale de Gauguin qui fut citée à l’envi par Monfreid. Mais elle permet également d’apporter une vision nouvelle de l’œuvre de Monfreid qui n’est présent dans les collections du musée que par une gravure à l'encre sur papier japon de la couverture du René Leys de Victor Segalen (1922) et par le portrait d'Amédée Calmel (1893).
Oeuvre exposée en salle de l'Ecole de Pont-Aven, au 1er étage, salle 21